La démocratie est un concept qui plaît, même si l’on peut déplorer qu’il plaît de moins en moins. C’est l’absence de privation de pouvoir par quelques-uns. Du moins en théorie. Dans les faits, pas tout le monde n’est élu. C’est physiquement impossible, sauf à y passer ces weekend. Certains ont donc du pouvoir dans les hautes instances administratives, après avoir reçu la même formation intellectuelle, sans avoir été choisis par les personnes qui, elles, ont été élues, ni a fortiori par les électeurs. Nous parlons là de pays, principalement. Un peu moins de démocratie locale, pour laquelle les administrations ont moins de pouvoir. Dans les associations, le constat est encore plus sombre : démocratie signifie souvent pouvoir personnel et sans partage. Et elle nuit souvent à la cause qu’elle est supposée défendre.
Une association n’est pas un pays. Les gens qui y adhèrent ne sont pas obligés de le faire. Et ceux qui en créent une peuvent le faire librement, en définissant sans contrainte son objet. En revanche, on est bien obligés de vivre quelque part. Et déménager est beaucoup plus compliqué que de quitter une association. Cette dernière ne peut du reste rien imposer à qui que ce soit : elle ne légifère pas, elle ne régule pas. Il n’y a ainsi, en théorie, pas vraiment de raison d’y imposer une démocratie. Car il apparaît que les personnes qui sont à leur sommet, n’ont aucun pouvoir en réalité. Ils ont une « force de frappe » lorsque l’association est médiatique, ou lorsqu’elle sert de relais entre des politiques et la base, sur un sujet concret.
Malgré tout, le « sommet » attise les jalousies, et attire des personnes avides de pouvoir. En réalité, dans les associations, ce sont les élections qui donnent du pouvoir aux personnes élues. Elles prennent acte qu’il y a un pouvoir (quel qu’il soit), qui doit se mériter. Les vainqueurs peuvent ensuite s’enorgueillir d’avoir « gagné », d’avoir bien « manœuvré ». Bref, d’avoir fait de la politique. Et cette envie de pouvoir se combine alors avec l’envie que l’association soit importante, influente. Ce qui plaît aux militants et aux adhérents, et devient le moteur de l’association.
Mais cela a un prix.
La démocratie fait place nette
Tout d’abord, il arrive souvent que, pour mettre en place ce moteur, les personnes qui pourraient faire de l’ombre au grand leader émergent s’en vont, épuisées. Car ce dernier, qui possède finalement toute la machine, opère automatiquement une sélection parmi les gens qui l’entourent, parfois sans même s’en rendre compte, en se méfiant, jusqu’à la paranoïa, des personnes qui ne lui sont pas acquises. Et, par définition, celles qui sont dans le débat d’idée, ne le lui sont pas. Un leader peut ainsi se couper de nombre de possibilités de construire quelque chose, par sa volonté de s’isoler des « élites », en prétendant ne pas vouloir se couper de sa base, qui en devient son « peuple ». Il se trouve alors des vertus à agir comme cela, pour la pureté de la cause, ou pour la défense de la démocratie. Ou les deux.
Dans un pays, pour assurer au mieux la représentation de toutes les tendances politiques, il y a des droits pour l’opposition. Pour empêcher justement un tel schéma de se mettre en place. Elle dispose d’un temps de parole, peut toucher autant de monde que le pouvoir en place en période d’élection, a des moyens financiers pour pouvoir le faire. En association, seul le Président peut atteindre les adhérents, et les moyens de l’association, souvent limités, ne servent pas à assurer l’émergence d’une force nouvelle. Le Président est souvent le seul à être vu dans les médias, lorsque l’association est médiatique. De sorte que les nouveaux adhérents viennent pour lui, et non pour l’association. L’opposition, elle, doit convaincre les adhérents de l’intérieur, sans pouvoir compter sur de nouveaux adhérents qui viendraient pour elle.
En ce qui concerne le débat d’idée, il est, de fait, limité. Dans une association, la tendance, c’est la cause qu’elle défend. Seule la manière de le faire peut changer. Cela permet d’étouffer les critiques, là encore. La défense de la cause peut justifier d’écraser tout ce qui alimente la désunion. Donc tout ce qui est en désaccord avec le Chef. Et là encore, la structure associative permet d’étouffer largement toute nouvelle opinion d’émerger. Si une idée venant de l’opposition plaît, le Président peut toujours la reprendre à la volée et se l’approprier. C’est facile, il n’y a rien, ou si peu, à mettre en place pour la faire exister (dans des textes, des interviews, ou autres). Finalement, le fait que le chef reprenne une idée associative serait signe que la démocratie fonctionne. Le reste n’est qu’une histoire de personne : une bonne idée, ça ne justifie pas une prise de pouvoir. Le tout c’est que l’idée soit exploitée, et que la cause avance.
De même, le Président peut de fait ne pas vouloir aller au fond des choses, car cela créé irrémédiablement des tendances, qui empoisonnent les « démocraties associatives ». Il joue alors sur le plus petit dénominateur commun et utilise des formules creuses, qui permettent à tous de s’y retrouver, et d’exclure tous ceux qui veulent de la nuance, sans prêt-à-penser. Ce qui est ainsi recherché, c’est la radicalité de la cause, et non une ligne. Dans les associations à plusieurs tendances, sans « vraie » démocratie, cette dernière annonce souvent le monopole d’une seule ligne, la plus basique possible. Et donc la moins constructive. Ceux qui ne sont pas d’accord, sont souvent des « traîtres » à la cause.
C’est le repli sur soi.
La démocratie pyramidale
La structure démocratique associative n’est en réalité rien d’autre que pyramidale : l’autonomie est donnée par le Grand chef à des gens acquis à sa cause. Car nombre d’adhérents ne participent pas à la vie d’une association, par choix, par manque de temps, ou toute autre raison largement défendable. Et les militants actifs sont en général choisis par le grand chef. Il y prend un soin tout particulier, et concentre ses attaques sur très peu d’entre eux, en les dégageant un à un, méticuleusement, en cas de problème. Si, pendant qu’il est là, les adhésions augmentent, c’est le signe qu’il est à sa place. Mais sinon, il devient très difficile de le déloger. Les adhérents qui ne sont pas militants, s’en aperçoivent quand il est trop tard. Alors ils partent, ou restent passivement : un pouvoir fort, c’est finalement ce qui empêche « la guerre des chefs » (expression qui n’existe curieusement pas lorsqu’on parle d’élection présidentielle ou municipale par exemple), et c’est ce qui permet à l’association d’avancer.
La « démocratie » justifie ainsi l’autoritarisme et l’autocratie, en association. Et si, au mieux, elle grandit par son nombre d’adhérents, la cause qu’elle défend, elle, rétrécit. Le message que porte l’association, le Président n’a pas forcément intérêt à ce qu’il trouve une issue politique. Il a en revanche intérêt à ne pas accepter la moindre concession. Un message entendu se dilue dans la population, il est acquis par tous, et devient de fait majoritaire, donc largement repris. Apparaissent ainsi des nuances. Le chef est alors perdu, oublié, sans intérêt. Il peut y préférer le repli démocratique (et « populaire »), le pur contre tous les autres. Et de fait, dans certaines associations « démocratiques », les Présidents font des scores de dictateurs, et pendant longtemps : élus parfois avec plus de 90 % des voix. L’explication en est simple : on quitte rarement son pays quand un Président nous déplaît, mais on peut facilement quitter une association si l’on ne s’y sent plus bien. Et les chefs prétendent évidemment qu’ils veulent vraiment atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, même s’il est flagrant que ce n’est pas le cas. En démocratie, justement, il faut convaincre, il ne faut pas rejeter et rester entre soi. Les associations « démocratiques » en matière de fin de vie rebutent par leur radicalisme, servent même d’épouvantails, tout en se revendiquant de ces 90 % de français favorables à l’aide active à mourir (finalement le score de leur leader aux élections).
L’enjeu pour le Président est alors de faire passer l’hystérie du leader pour des avancées, quand elle ne fait que révéler l’absence totale de mouvement et sert même à maintenir le statu-quo.
La sélection démocratique en association n’est ainsi pas celle du Chef. Elle est celle du peuple qui la compose.
Redéfinir la démocratie en association
Les grands chefs arrivent souvent dans une association en se servant des failles de celle-ci. Si un pouvoir fort ne s’y est pas encore installé, avec une ligne claire sans être étouffante, ils se présentent comme des sauveurs, face à une direction isolée et coupée de sa base, présentée comme dictatoriale et floue. Cela permet au futur Chef de construire son réseau, qui aura lui une ligne claire, et des méthodes fortes pour l’imposer. Une naïveté au sommet permet aussi de pratiquer une forme de darwinisme : telle personne de la direction pas assez portée sur le pouvoir, ne l’a pas vu venir. Signe qu’elle ne méritait pas sa fonction. Ensuite, le sauveur clive, en se présentant comme le démocrate (donc comme celui qui veut que la direction de l’association devienne un enjeu de pouvoir). Et toute réaction contre lui est présentée comme une volonté des autres de garder leur pouvoir… Il se comporte ainsi comme un parasite qui préfère récupérer une association qui marche et en changer la ligne plutôt que de se créer sa propre association, avec sa propre ligne.
Une association sans militant est difficilement concevable. Elle ne serait composée que d’adhérents, mais serait alors dépourvue de tout dynamisme. Et les militants veulent avoir leur mot à dire, et une certaine autonomie au besoin. L’idée de la démocratie leur plaît, car cela signifie sinon, pour eux, que l’association est dirigée par des personnes auto-proclamées. En général, celles qui sont à l’origine de l’association et qui en ont défini l’objet. Si les seuls militants intéressés sont sur une ligne différente de celle de l’association, ou moins ouverts à l’idée de plusieurs courants, cela peut être très problématique.
Une association sans échange et sans partage n’a aucune utilité. Trop d’échanges et de partage brouillent le message : on ne sait plus pourquoi on est adhérent, quelle cause on défend. L’envie de pouvoir peut être un moteur, l’envie de voir grandir l’association aussi. Mais alors comment s’assurer que le pouvoir ne prenne pas le pas sur la cause, tout en assurant à une association d’être en ordre de marche ? Et comment assurer que l’association ne soit pas exclue du monde républicain, en prétendant défendre une cause que seules quelques personnes radicales défendent, ce qui la condamne de fait à l’inaction ? Comment empêcher l’émergence d’une personne dont l’activisme et l’écoute ne sont guidés que par le narcissisme et la recherche d’un plébiscite dont elle pense qu’il lui est dû ?
Ces questions sont extrêmement complexes. Et on retombe finalement sur l’idée première de la démocratie : des élections, mais sans guerre des chefs, sans opposition structurée et donc sans droit, et sans la possibilité pour un courant d’émerger sans se voir vider de sa substance par un pillage organisé du Président en place et de ses fidèles, qui sont aux manettes.
Sinon, il faut admettre qu’on ne veut pas de démocratie en association, ce qui n’est pas non plus le meilleur moyen pour éviter l’émergence d’un grand chef.
La démocratie ne se trouve pas dans les élections
Comme pour toute question compliquée, il n’y a pas de réponse magique. C’est une rencontre entre des personnes, un modèle, un cadre juridique de la structure associative, une cause, et des adhérents qui ne se sentaient pas représentés avant. La pratique sur un temps relativement long, qui se construit étape par étape, fait le reste. Ainsi, il est sain que l’association choisisse méticuleusement, dans un premier temps, et surtout lorsqu’elle traite de la fin de vie, quelques membres autorisés à y adhérer, afin de se construire une base solide, pour ensuite ouvrir progressivement les vannes. Lorsque l’association a une identité et cette base, alors on peut penser que les adhérents eux-mêmes ne voudront pas d’un petit leader pratiquant la stratégie du coucou.
Il semble que ce qui compte, c’est l’idée qu’on se fait d’une association, comment on la met en place, et comment on la fait maturer. Les adhérents qui l’auront choisie voudront qu’une certaine ligne reste en place. Et si elle grossit, il faut que ses leaders soient suffisamment méfiants et ouverts à la fois pour accueillir des idées nouvelles sans accueillir des personnes avides de réseautage. Il faut ainsi dès le début qu’elle soit claire sur la mission qu’elle se donne, et les moyens qu’elle compte employer pour y parvenir.
Il faut, en somme, et dès le début, permettre l’ouverture, la nuance, et en faire un ADN. Cela signifie aussi que d’autres associations soient ouvertes et capables de faire comprendre à leur base que le dialogue n’est pas la trahison d’une cause. Bien au contraire, c’est ce qui permet à une association de diffuser un message au-delà de ses rangs, et de cohabiter aussi pour éventuellement opérer une transition dans les meilleures conditions possibles.
La transparence en association, plus que la démocratie
Fondamentalement, ce qui montre qu’une association va ou ne va pas, c’est le turn-over au sein des adhérents (ou des donateurs, ou des abonnés à sa lettre d’information). Quand beaucoup d’adhérents partent, c’est que quelque chose ne va pas. Des adhérents qui s’ennuient, de même. Si on impose dès le début une ligne et l’absence de « happening » médiatique visant à faire exister une association face à des concurrentes qui se battent sur le même créneau, alors ce n’est pas cela qui peut être la cause des défections ou de l’ennui. Il faut donc chercher ailleurs, sans essayer de copier ce qui existe déjà. Ce sont ces messages qui finalement revitalisent.
Étrangement, ces messages sont les mêmes que ceux qui remontent au Grand Chef d’une association outrancièrement démocratique et qu’il reprend à son compte pour étouffer l’opposition. Mais ici, ce serait sans démocratie, donc avec moins de pouvoir pour les « Chefs », et fatalement moins de lutte de pouvoir. Verrouiller l’accès au pouvoir, ne pas verrouiller l’accès aux idées et à la vitalité extérieure. Et l’assumer. Lorsqu’il y a moins de pouvoir, il y a souvent moins d’excitation. C’est plus productif, et cela permet même l’inaction, quand elle est nécessaire pour la cause mais peut être néfaste pour l’image de l’association qui ne fait pas parler d’elle pour solidifier sa base (cf. les happening). Il faut en expliquer les raisons aux adhérents. Et, là encore, l’assumer derrière.
Ce mode de fonctionnement sur le temps long peut créer de fait une pénurie humaine, et peut démotiver ceux qui ne sont pas récompensés pour leur activisme. La transparence, notamment des comptes, ne suffit pas à pallier cela. Il est clair que ce schéma ne peut être que transitoire. Car sinon, il y a le risque d’être dans une autre forme de pureté qui finalement est la même que celle qu’on connaît dans l’absolutisme de la cause et le culte du petit chef. Une autre forme d’entre-soi. Mais finalement, c’est le prix à payer pour qu’une association qui traite de la fin de vie, et surtout de l’aide active à mourir, puisse émerger sans être exactement sur la ligne « ultime liberté » des autres associations qui traitent de ce sujet. Et prépare, à son rythme, l’arrivée en nombre d’adhérents et des élections plus larges.
C’est peut-être d’ailleurs aussi cela la démocratie : l’absence de pensée unique, et la diversité des opinions identifiables.