Où se situe la liberté de conscience du citoyen ?

Elle a rédigé ses directives anticipées.
Les a confiées à son médecin généraliste, et à ses enfants.
Son pharmacien les a scannées pour les inclure dans son DMP *
sur sa carte vitale.

Huitième de dix enfants,
Elle a encore une sœur,
les autres sont morts, quasiment tous de pathologies cardiaques,
comme leurs parents.

Elle a perdu un gendre de la maladie de Charcot,
a été témoin indirect de son épuisement progressif, des traitements ou protocoles expérimentaux impuissants à ralentir le processus de la maladie,
des renoncements de chaque jour, de son désir d’en finir.
Elle sait que Michel D. n’a pas pu choisir ni décider pour lui-même,
et que la tristesse de son regard qui attendait la mort me hante à jamais.

Et elle connaît bien le sujet de la fin de vie, dont je lui parle souvent,
Ce sujet n’est pas tabou, du tout.
Elle nous a dit la musique qu’elle souhaite jouer pour ses amis
lors de ses obsèques.

Tout est dit ou écrit depuis un certain temps pour que ses volontés soient respectées.
Elle cherche à éviter que ses enfants se trouvent face à un dilemme,
elle ne veut pas leur compliquer la vie, elle veut partir doucement, discrètement,
toujours coquette, elle ne veut pas leur laisser entrevoir la dégradation de son corps,
elle veut partir encore jolie, parée d’une écharpe en soie rose,
un soupçon de Shalimar au creux du cou.

Fatiguée par des années de douleurs aigües que rien ou presque ne soulage,
C’est elle encore, qui m’a poussée il y a quelques semaines à poursuivre mon action en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir – ou aide médicale à mourir,
à ne pas lâcher prise dans ce combat inégal entre les citoyens et leurs élus,
tandis qu’elle achevait la lecture du livre de François Lambert “Pour qu’il soit le dernier”,
dont elle admire le courage et la détermination.

Et puis un soir de grande fatigue, il a fallu appeler les urgences,
Hospitalisation au milieu de la nuit,
on lui a découvert un œdème pulmonaire.
Pose d’un pacemaker quelques heures plus tard.
Depuis, elle a décompensé un syndrome cardio rénal,
un traitement de choc a été administré pour inciter le cœur à reprendre son rôle à part entière,
Une énergie artificielle,
fait renaître le fol espoir de la voir revenir chez elle,

Les chances sont infimes, elle le sait, et nous aussi nous l’avons compris,
le petit bout de chemin qui nous reste à parcourir avec elle est le plus difficile,
une chape d’épuisement me tombe dessus à chaque franchissement de la porte de l’hôpital,
et elle, vaillant petit soldat, me sourit quand j’ouvre la porte.
Les médecins l’ont dit, quand le traitement sera sevré, le cœur ne tiendra peut-être pas,
doucement, avec beaucoup de tact, ils nous amènent à envisager l’inacceptable,
sa mort prochaine.

Quand ses derniers moments approcheront, nous savons qu’elle ne pourra pas choisir le moment et la manière,
on nous promet qu’elle ne souffrira pas,
et je veux bien croire que tout sera fait pour qu’il en soit ainsi,
cependant, nous ne saurons jamais jusqu’où l’écoute du corps médical s’inclinera vraiment face à sa volonté à elle.

Aujourd’hui, fragile et maintenue en vie artificiellement grâce aux soins,
elle ne veut plus d’autre traitement si celui-ci échoue.
La crainte de la dépendance l’obsède depuis longtemps déjà,
et plus encore celle de se trouver dans l’incapacité de communiquer.
Nous, ses enfants, savons tout cela.
Elle nous a demandé d’être ses personnes de confiance.
Le respect de son choix est pour nous l’essentiel.
Si la loi l’avait permis, elle aurait peut-être demandé une euthanasie.
Elle sait que – le cas échéant, et faute de mieux,
elle demandera au collège de soignants d’appliquer la loi Claeys Leonetti,
qui propose d’endormir jusqu’à la mort, sans intention de la donner,
sans certitude que cela soit accepté par la communauté médicale.

A ce moment de sa vie, elle n’a plus peur de rien.
La liberté de conscience de chacun est très intime, très personnelle,
nul ne sait ce qui se joue dans les derniers moments pour celui qui envisage sa fin,
entre l’esprit, le corps et la mort.

L’idée d’avoir le droit de devancer la mort,
d’avoir le droit de décider pour elle-même du moment du passage,
user ou non de cette liberté d’anticiper l’inéluctable, la rassurerait plus que tout,
et lui donnerait même plus de force pour continuer à vivre.

Où sont le respect du libre arbitre et la liberté de conscience dans la loi actuelle ?
Par mon action, je tente de combattre cette iniquité,


* DMP : Dossier Médical Partagé
il est à noter que dans l’hôpital en question (Centre Hospitalier Intercommunal ) aucun lecteur de carte vitale ne permet d’accéder au Dossier Médical Partagé des patients