2 longs mois à attendre la mort privé de nourriture : récit d’un calvaire.

Isabelle Daillon nous raconte la mort de son « papa », deux mois après l’arrêt de son alimentation. Son récit, et les propos rapportés des soignants, est accompagné d’images qui aident à la bonne compréhension de la situation dans son ensemble. Elle nous demande, ainsi qu’aux lecteurs, de ne pas les sauvegarder et de ne pas les publier ailleurs que sur ce blog, par respect pour la mémoire de son père. Jeune public et âmes sensibles s’abstenir.

Par ce témoignage, je voudrais faire prendre conscience qu’au XXIème siècle, en France, nous pouvons encore mourir dans d’horribles conditions sans pouvoir faire entendre notre parole, et que le médecin a la décision finale.

Voici brièvement l’histoire de la maladie de mon papa.

A un an de la retraite, vers l’an 2000, il sera obligé de stopper son activité (patron d’une petite entreprise) pour cause de maladie de Parkinson atypique, suivie plus tard de maladie à corps de Lewy.

Son état restera à peu près stable durant une dizaine d’années. Mais en 2011, il se dégradera brusquement.

Atteint d’une infection pulmonaire assez grave, il est hospitalisé en urgence. Le corps médical nous annonce une espérance de vie de 6 mois.

Ma maman décide alors de le ramener à leur domicile. Grâce notamment à ses bons soins et à son dévouement 24h/24, 7jours/7, mon papa vivra non pas 6 mois mais 6 ans, alimenté par sonde gastrique.

Les 2 premières années ne se passeront pas si mal. Il pourra encore, à l’aide de 2 personnes, marcher et sortir un peu en dehors de la maison. Il pourra surtout encore échanger avec les siens.

Mais que dire des 4 dernières années où son état ne fera que se détériorer ? Quelques moments de lucidité par jour, qui nécessitent d’être présent constamment pour en profiter.

Il marche encore, de sa chambre au salon, avec l’aide de 2 personnes pour les levers et les couchers. Subsistent quelques moments de paroles, parfois incohérents, qui disparaîtront durant la dernière année.

C’est moralement difficile pour l’entourage et également physiquement pour ma maman, qui ne peut plus s’absenter.

Et pour lui ? On ne sait pas. Parfois, il est triste, des larmes coulent le long de ses joues….

La souffrance, non diagnostiquée par l’HAD (hospitalisation à domicile), est pourtant présente, nous confirmera la neurologue. « La fille du patient a l’impression, malheureusement justifiée, que son père souffre. (…) Je pense qu’il faut proposer à ce patient, qui est visiblement douloureux lorsqu’on le mobilise, des antalgiques de palier 3, même s’ils risquent de provoquer une sédation ». Elle lui prescrira donc des patchs de morphine, durant la dernière année.

Début Avril 2017, l’HAD, qui s’occupe à merveille de lui depuis 4 ans, décide de le placer en protocole de fin de vie, car son état s’est trop dégradé.

Le cauchemar débute.

Les premiers traitements sont stoppés et, une semaine plus tard, le 12 avril, l’alimentation l’est également. Mais pas l’hydratation.

On nous explique le déroulement du protocole de fin de vie en nous promettant oralement que si mon papa souffre, il sera endormi.

En raison de tes pauses respiratoires, on nous demande de nous préparer au décès imminent pour le week-end de Pâques. D’ailleurs, en raison de ce pont, l’ordonnance du protocole anticipé et le matériel de sédation seront déposés à ton domicile le 14 avril.

Un mois plus tard, papa tu es toujours là, avec ce corps qui ressemble aux photos des prisonniers des camps de concentration.

Mais tu as un cœur solide, comme l’a toujours dit ton médecin traitant, qui te connaît mieux que l’HAD. Et malgré la suppression de l’alimentation, tu es toujours présent parmi nous, décharné, mais survivant.

La vue de ce corps est difficile à accepter pour nous, mais le plus important est quand-même de savoir si tu ressens de la douleur, physique ou psychique. Ce que nous nous refusons de tolérer, si c’est le cas.

Le 16 Mai, nouveau changement de médecin de l’HAD.

Je lui demande de m’assurer à 100% que mon papa ne souffre ni physiquement, ni psychologiquement.

Sa réponse me scandalisera et hante encore mon esprit : « je ne pense pas mais je ne peux pas vous l’assurer à 100% ».

« Pratiquez une sédation (comme le permets la loi Claeys-Leonetti) », lui demanderai-je alors.

Il me répondra que je souhaite euthanasier mon papa et ne souhaitera plus me revoir.

Lors de ses prochaines visites, je ne serai donc pas présente, laissant ma mère seule avec lui.

Il écrira dans son compte-rendu de première visite : « Accueil très difficile, son épouse me présentant son mari en le découvrant entièrement « regardez, on est à Dachau » ». Puis : « il est peu probable qu’à l’instant il soit pleinement conscient de ma venue et de l’examen que j’ai réalisé », et, me concernant : « s’en suit une révolte de la fille, me disant que je n’y connais rien et que de ce fait je n’ai pas d’humanité et que l’HAD ne prodigue pas les soins nécessaires pour le respect de la dignité de son père ». « J’essaie de leur expliquer (…) que nous sommes dans un processus irréversible et que notre action est de s’adapter aux circonstances imposées et non de provoquer par une escalade thérapeutique un décès ».

Il poursuit ensuite : « Je signifie qu’à ma prochaine visite je verrai Mr Daillon dans sa chambre seul et si elle le désire avec son épouse qui est la personne de confiance et que je verrai la fille et la tante en dehors de la chambre pour ne pas renouveler cette discussion en présence de Mr Daillon qui est conscient de son environnement et que l’on doit à mon sens le préserver des propos bruyants de son entourage ».

« La deuxième chose que j’ai fait validé (sic) par l’épouse de Monsieur Daillon c’est le temps que j’ai pris pour écouter leur détresse, que j’ai bien compris que Mr ne s’est jamais plaint et qu’il ne se plaindra jamais, que j’ai subi cet entretien et que je ferai en conscience ce que je crois bénéfique pour Mr Daillon et qu’en aucun cas je ne peux franchir la limite médico-légale d’accélérer le processus naturel du décès et que cette période est douloureuse pour le patient les proches et pour nous même, qui ne sommes pas indifférents mais restons des professionnels dans notre raisonnement et nos décisions ».

Je reste persuadée que ce médecin ne connaît pas ou ne veut pas connaître la loi Claeys-Leonetti. Il n’est que médecin généraliste et non neurologue, et ne peut pas être en mesure d’appréhender la douleur de mon papa, comme cela a déjà été le cas une année auparavant. A ce détail près que désormais, l’alimentation a été stoppée. Mon papa est donc sur le chemin final menant au décès à petit feu ….

Tout ce qui m’importe à ce stade est d’être sûre qu’il NE SOUFFRE PAS. C’est sa dernière étape vers la mort, il n’y a plus de retour possible.

Je demanderai au généraliste de l’HAD de s’entretenir avec la neurologue. Il adressera un courrier à cette dernière, et à l’équipe mobile de soins palliatifs, en joignant le protocole moral qu’il fera signer à ma mère le 23 mai.

Le 23 mai, plus d’un mois après l’arrêt de l’alimentation.

Le même médecin écrira sur son courrier que son sentiment est que « Mr Daillon présente un état clinique stable et n’est pas en décompensation somatique conduisant à un décès imminent sauf événement intercurrent aiguë » et « que l’augmentation progressive du Valium de semaines en semaines conduira à des seuils toxiques provoquant une insuffisance respiratoire et cela non en raison du contexte clinique mais à la demande de la famille Me Daillon, sa fille et la sœur de Me Daillon et personnellement cela me pose un problème éthique et médico-légal. Je rappelle que la demande de la famille est la suivante : « pouvez-vous m’assurer à 100 % que Mr Daillon n’a pas la perception de son environnement ? ».
De façon très claire et en responsabilité je ne m’engagerai pas sur cette voie. On peut suspendre les traitements, apporter des médications pour du « confort » au risque de provoquer la mort mais de là sur du moyen terme d’augmenter le traitement progressivement pour induire un processus conduisant au décès cela me semble-t-il n’est pas la loi Léonetti.
 »

Il nous proposera également de reprendre son alimentation.

Avec un corps délabré, une peau si fragile, comment techniquement serait il possible de le réalimenter ? Et puis, quel bénéfice pour lui ?

Ne changeant pas les pansements (ce n’est pas son rôle), ce médecin ne peut pas voir l’ampleur des escarres.

Évidemment, ma maman refusera qu’il soit à nouveau alimenté, après un mois d’interruption. Je ne serai pour ma part pas informée de cette potentielle reprise, par peur de ma réaction : ma maman demandera au médecin de ne pas le noter dans le carnet de liaison laissé au chevet de mon papa.

Pendant ce temps, l’hydratation, pourtant elle aussi un traitement, est toujours maintenue, ce qui permet de retarder encore la mort.

Quelques semaines plus tard, pauvre papa tu es toujours là, avec parfois tes agitations…

Ne sachant plus quelles décisions prendre, la psychologue de l’HAD rend visite à ma maman et me joint également par téléphone.

Sa proposition : surprise par la lenteur de la survenue du décès, elle nous suggérera de transférer mon papa à l’hôpital afin qu’il perde ses repères (environnement + proches). Selon elle, l’isolement et la désorientation l’aideront à quitter ce monde plus vite.

Je pensais qu’il était préférable pour un être humain ne de pas partir seul sans ses proches. Et bien non, détrompez-vous… c’est le contraire pour cet hôpital.

Nous refuserons cette hospitalisation, mon papa n’étant plus transportable. Nous avons demandé à notre médecin de famille de prendre le relais de l’équipe de l’HAD (avec l’accord de cette dernière) pour une augmentation des thérapeutiques antalgiques.

Finalement, et suite aux explications d’une des infirmières, une réunion collégiale aura lieu le 7 juin en début d’après midi, soit pratiquement deux mois après l’arrêt de l’alimentation. Il sera sédaté en fin d’après midi, et cela durera 7 jours.

Mon père décédera le 14 juin 2017, avec un corps décharné et parsemé d’escarres stade 4 et stade 2 : un trou dans la gorge, un sous le menton, 2 dans les omoplates et l’escarre 4 avait atteint le sacrum.

Le médecin de l’HAD, revenu de congés, conclura dans son courrier du 4 juillet que mon papa « était stable, détendu et qu’il ne présentait pas de symptômes d’inconfort nécessitant une majoration des thérapeutiques » (visite du 3 juin).

Avec ces escarres, tu ne présentais pas de symptômes d’inconfort…

Papa, à quel point as-tu souffert ? Cette question me hantera jusqu’à ma mort, que je ne souhaite pas identique.

Alors je me bats pour que tu sois le dernier à vivre cela.

Depuis plus de 3 ans, j’essaye de comprendre comment on peut en arriver à ce point d’inhumanité ?

Durant les 6 premiers mois après ton décès, la force de persuasion des médecins était bien ancrée dans mon esprit. Il m’a fallu 6 longs mois pour comprendre que j’étais réellement dans mon droit.

Alors en février 2018, j’adresse un courrier à la Ministre de la santé dénonçant cette fin de vie inhumaine.

Je peux m’estimer heureuse … ce courrier a été transmis (a priori sans les photos) à l’ARS (Agence régionale de santé), à la Direction générale de la santé et à la Direction générale de l’offre de soins.

Le 5 juin 2018, la direction générale de la santé m’a répondu en m’explicitant la loi Claeys-Leonetti : « [la sédation] doit également être mise en œuvre lorsque le patient ne peut plus exprimer sa volonté et qu’au titre du refus déraisonnable, le médecin prend une décision d’arrêt de traitement de maintien en vie, laquelle prend en compte la volonté précédemment exprimée par la personne. »

Que cela signifie t-il ? A-t-on le droit de mettre en place la sédation 2 mois après l’arrêt de l’alimentation ?

Le 21 juin 2018, la Direction générale de l’offre de soins m’a elle répondu en m’expliquant le détail du plan national des soins palliatifs de 2015/2018, en me faisant savoir que mon dossier faisait l’objet d’un suivi rapproché de leurs services et de ceux de l’ARS.

L’ARS m’a quant à elle répondu que la Direction générale de l’offre de soins ne pouvait intervenir plus avant concernant la question de l’expertise médicale.

Deux points ont posé question aux membres de l’ARS : la prise en charge de la douleur, sans doute insuffisante, ainsi que le moment de la prise de décision de l’arrêt de l’alimentation (décision prise trop tôt selon eux).

Le 13 août 2018, le Défenseur des droits, contacté par les services du ministère, me répondra que « la loi précitée ne nous habilite pas à remettre en cause des décisions fondées sur des conclusions d’ordre médical. »

Enfin, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) m’informera avoir diligenté une mission portant sur l’évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016, qui faisait le constat de « difficultés persistantes ».

Elle me dira par ailleurs « intervenir généralement sur saisine des Ministres et après la mobilisation des services de contrôle de premier niveau ».

La mobilisation des services concernant mon dossier n’a ainsi pas porté ses fruits, ou alors les services ne se sont pas mobilisés.

J’ai donc tenté d’alerter les associations. Après un contact positif avec l’UNASP (Union Nationale des Associations pour le développement des Soins Palliatifs), je suis invitée dans leurs bureaux pour approbation d’un texte à paraître sur leur journal.

Il ne sera pas publié.

Le médecin qui me reçoit m’expliquera que la sédation a été appliquée et que le protocole a été respecté. Le médecin n’est pas attaquable. Je n’étais pourtant pas là pour l’attaquer juridiquement mais pour dénoncer les pratiques de refus de sédation !

Finalement, j’en déduis que les associations qui se targuent de demander des « possibilités de mettre en œuvre sur tout le territoire 24H/24 les techniques de sédation » refusent de publier les articles qui pourraient heurter les convictions de leurs confrères.

Alors, je me tourne vers les médias pour dénoncer cette fin de vie honteuse.

Entre-temps, un médecin de soins palliatifs a accepté de réaliser une visioconférence avec les praticiens qui se sont occupés de mon papa.

Finalement, j’apprendrai que le médecin remplaçant qui a refusé la sédation avait peur d’être condamné par la justice à un an de la retraite et avait voulu s’occuper du cas de mon papa seul. Il avait été dépassé et n’avait plus su quoi faire. Ces propos, qui m’ont été rapportés, se seront évidemment tenus entre confrères…

Sûr de son savoir, il a préféré minimiser l’état de mon papa en demandant l’avis à des spécialistes de soins palliatifs (à ma demande).

C’est le médecin de l’équipe mobile de soins palliatifs qui me rapportera la teneur de leurs échanges, en concluant son courrier par : « c’est la famille qui est probablement très en souffrance face à la situation ».

Méprisant les proches et leur imposant une définition subjective – palliativiste ? – de l’euthanasie, combien d’êtres humains le corps médical laisse-t-il chaque année terminer leur vie dans de telles conditions, allant jusqu’à préférer ne pas savoir vraiment s’ils souffrent ou non ?